2/6/10

Le lac - Lamartine


Alphonse de Lamartine (Bourgogne, 1790 - Paris,1869)
Méditations poétiques (1815 - 1820)


Texte en Français y Español

Français
Le lac

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges
Jeter l’ancre un seul jour ?

Ô lac ! l’année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu’elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m’asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s’asseoir !

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes ;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés ;
Ainsi le vent jetait l’écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.

Un soir, t’en souvient- il ? nous voguions en silence ;
On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m’est chère
Laissa tomber ces mots :

« Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices,
Suspendez votre cours !
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !

« Assez de malheureux ici-bas vous implorent :
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
Oubliez les heureux.

« Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m’échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : ‹ Sois plus lente › ; et l’aurore
Va dissiper la nuit.

« Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! »

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse,
Où l’amour à longs flots nous verse le bonheur,
S’envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?

Hé quoi ! n’en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ? quoi! tout entiers perdus ?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus ?

Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?

Ô lac! rochers muets ! grottes! forêt obscure !
Vous que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !

Qu’il soit dans ton repos, qu’il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux !

Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés!

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu’on entend, l’on voit ou l’on respire,
Tout dise : « Ils ont aimé ! »



Español
El lago

Así siempre empujados hacia nuevas orillas,
en la noche sin fin que no tiene retorno,
¿no podremos jamás en el mar de los tiempos
echar ancla algún día?

Lago, apenas el año ya concluye su curso
y muy cerca del agua donde yo le di cita,
mira, vengo a sentarme solo sobre esta piedra
donde ayer se sentaba.

Tú bramabas así bajo estas mismas rocas,
te rompías con furia en su herido costado;
así el viento arrojaba tus oleajes de espuma
a sus pies adorados.

Una tarde, ¿te acuerdas?, en silencio bogaba
entre el agua y los cielos a lo lejos se oía
solamente el rumor de los remos golpeando
tu armonioso cristal.

De repente una música que ignoraba la tierra
despertó de la orilla encantada los ecos;
prestó oídos el agua y la voz tan amada
pronunció estas palabras:

«Tiempo, no vueles más. Que las horas propicias
interrumpan su curso.
¡Oh, dejadnos gozar de las breves delicias
de este día tan bello!

Todos los desdichados aquí abajo os imploran:
sed para ellos muy raudas.
Con los días quitadles el mal que les consume;
olvidad al feliz.

Mas en vano yo pido unos instantes más,
ya que el tiempo me huye.
A esta noche repito: "Sé más lenta", y la aurora
ya disipa la noche.

¡Oh, sí, amémonos, pues, y gocemos del tiempo
fugitivo, de prisa!
Para el hombre no hay puerto, no hay orillas del tiempo,
fluye mientras pasamos.»

Tiempo adusto, ¿es posible que estas horas divinas
en que amor nos ofrece sin medida la dicha
de nosotros se alejen con la misma presteza
que los días de llanto?

¿Y qué? ¿No podremos jamás conservar ni su huella?
¿Para siempre pasados? ¿Por completo perdidos?
Lo que el tiempo nos dio, lo que el tiempo ha borrado,
¿no lo va a devolver?


*La traducción en español es solo de una parte del poema original en francés ya que me ha sido imposible encontrar la traducción del poema íntegro.

Image: Coin d'etang à Montgeron (1876)

Claude Monet (1840 - 1926)